Quand intégrismes et islamophobie forment un couple épatant

Comment les débats engagés par le gouvernement stigmatisent toute une population

une tribune parue dans l’Humanité le 21 avril 2011

Par Arezki Metref, journaliste et écrivain.

Je vis en France depuis dix-sept ans. Le fait même de m’y être réfugié a trait à l’islam, puisque c’est sa perversion en intégrisme qui m’a contraint à quitter l’Algérie. Autant dire que par ce vécu douloureux, j’avais toutes les raisons de regarder l’intégrisme avec circonspection et l’islam avec prudence. Jamais je ne me suis senti concerné de quelque manière que ce soit par les attaques contre l’islam, pas plus que par sa défense d’ailleurs. Même le choc des cultures de Huntington appliqué par Bush ne m’a pas interpellé. Je voyais cependant que les radicalismes islamistes et les radicalismes de l’autre bord s’alimentaient mutuellement, qu’ils étaient et demeurent des équivalents symétriques.

Intégrismes et islamophobie formaient un couple épatant. Eh bien, ce couple me laissait indifférent ! Ni l’islamisme politique ni son contraire antagonique ne me définissaient en tant que citoyen. Mais voilà que pour la première fois, l’agnostique que je suis se sent stigmatisé. Qu’on s’entende, je suis ce que Maxime Rodinson appelle un « musulman sociologique ». L’islam imprègne en partie les conditions culturelles de mon éducation. Il fait pour moi partie d’un ensemble de repères séculiers qui m’inclinent paradoxalement à avoir une vision laïque de la société. Les dates religieuses comme l’Aïd ou le ramadan, que je n’observe pas, sont symboliquement importantes dans ma vie sociale comme le sont Noël ou Pâques pour les chrétiens « sociologiques ». Sans plus !

Tout en gardant une sorte de sensibilité de « musulman sociologique », plus réceptif à la culture qu’au culte musulman, j’ai acquis les éléments définitifs qui me placent du côté des laïques, autrement dit de ceux qui militent pour que les casernes et les mosquées ne mettent pas la main sur le politique.

La décennie noire en Algérie m’a frappé de stupeur. Comment se pouvait-il qu’une religion en arrive à être à ce point source de bouleversements et de haine ? La réponse était dans l’extrémisme politique qui l’avait pervertie.

Le débat sur l’islam, qu’un manque de courage politique à l’UMP travestit en débat sur la laïcité, est une autre perversion qui n’a rien à envier à l’utilisation de l’islam à des fins politiques imputée aux organisations intégristes. L’usage en est simplement inversé.

Ce débat me stigmatise. Je me sens pour la première fois montré du doigt, moi le « musulman sociologique » que le port de la burqa et les prières dans la rue attristent pour l’islam lui-même et pour les quelques millions de musulmans qui, en France, vivent leur religion dans une parfaite discrétion. Quand j’entends Jean-François Copé répéter à l’envi qu’il s’agit là d’un débat essentiel pour la France, j’ai le sentiment que dans l’espace public, ma seule présence de « musulman sociologique » occulte le chômage, la crise, le déficit des finances publiques, etc. Je me dis que ces parangons de réussite sont tétanisés par l’obsession du pouvoir, et, avec un aplomb sans pareil, ils exploitent ce qu’ils pensent être la panacée pour récolter des voix, en l’occurrence cet anti-islam primaire, brut de décoffrage, fruste. Ils sont capables de tout, et ils le prouvent. Un tel cynisme a cependant ceci de méritoire qu’il révèle à l’opinion à quel point il la tient pour quantité négligeable.

Ce débat sur l’islam aux forts relents xénophobes sert surtout de prétexte à une formidable diversion. Car ce qui leur paraît être un filon exploitable de voix est sérieusement contre-productif de ce point de vue. S’il a quelque chose de cathartique pour la minorité raciste en France, les « croisés » ne rempliront pas les urnes. Outre qu’il radicalise les Français d’origine musulmane en les fustigeant, il suscite des réactions de tristesse ou de colère de la part de la grande majorité des musulmans, qui habituellement sont totalement muets sur ces questions. Rien de mieux pour dresser une partie de la population contre une autre ! La haine érigée en mode de gouvernance devient un produit étatique. On le comprend au sein même de l’UMP. Celles et ceux qui ont vu à quel point un tel débat bafoue toutes les valeurs humanistes qui font partie du patrimoine français sauvent l’honneur de ce vieux pays des Lumières.

On nous dit que le débat en question serait bénéfique aux musulmans et à l’islam. J’ai beau retourner la question dans tous les sens, la pertinence d’une telle assertion m’échappe. À moins que la stigmatisation représente un intérêt. En ce cas, à qui profiterait le crime ? C’est une interrogation qu’au vu des circonstances, on est en droit et en devoir de se poser.

À la vérité, la question que prétend poser ce débat, et qui n’en est pas une, n’est que l’expression de l’un des symptômes d’une société malade de l’égocentrisme et de l’avidité de ses dirigeants. Ce n’est ni plus ni moins que l’histoire du bouc émissaire. Les têtes « pensantes » qui sont en « surchauffe » chargent de tous les maux ambiants une partie vulnérable de la population, tout en la désignant à la vindicte d’une autre partie, souvent toute aussi démunie. Stratagème hideux d’un système paniqué qui estime sans doute que le nombre de bulletins en sa faveur dans les urnes est proportionnellement lié aux nombres d’humiliations qu’il aura fait subir aux catégories de la population socialement les plus fragiles. En sont-ils à penser que ce « raisonnement », si simpliste qu’il en devient affligeant, leur permettra de gagner des élections ? C’est se faire une autre piètre idée de l’opinion.

Arezki Metref

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