Le 5 avril dernier, nous, élu.e.s, personnes psychiatrisées, professionnel.le.s, citoyennes et citoyens concernés nous sommes réuni.es dans la commune de Gennevilliers pour penser ensemble ce que serait une psychiatrie populaire de proximité, antidote désirable à la crise profonde que traversent la psychiatrie et la pédopsychiatrie française depuis des années.
En 2025, la santé mentale a été déclarée << grande cause nationale >>. A ce jour, force est de constater qu’aucune réponse politique d’ampleur n’est venue contrecarrer sur le terrain l’abandon des usagers, personnes psychiatrisées, élu.e.s, professionnel.le.s, citoyens concernés. Sans compter que les premiers concernés n’ont même pas été sollicités pour donner leur avis sur cette << grande cause >>.
La << santé mentale >> a pour objectif de sortir du seul prisme du soin médical pour agir sur les déterminants sociaux : logement, éducation, environnement, accès aux droits. Force est de constater qu’aucune de ces dimensions n’a été l’objet de propositions politiques concrètes. En dehors de mesures confirmant la volonté de privatisation des soins (remboursement d’une dizaine de consultations de psychologue en libéral) sans renforcer par ailleurs les dispositifs publics de soins collectifs, tels que le Secteur, que l’on aide à mourir tranquillement sans qu’il l’ait demandé, la << grande cause nationale >> semble n’être qu’une énième opération de communication. Pour autant, parler de santé mentale ne devrait ni évacuer la question psychiatrique ni médicaliser les questions sociales.
Si nous prenons acte que l’accueil, les soins et l’accompagnement à tous les âges de la vie est délaissé par les pouvoirs publics, nous ne nous résignons pas à cette situation.
Nous pensons qu’un autre modèle de psychiatrie est possible, qu’une politique de secteur du XXIème siècle fondée sur des bases différentes peut être une option désirable pour refonder un système à bout de souffle.
Nous avons besoin de lieux pour échanger, pour partager et pour décider ensemble localement comment accompagner, comment soigner, comment se rétablir, comment inclure réellement, comment vivre dignement.
Il ne peut exister de psychiatrie qui prenne soin sans démocratie réelle.
La démocratie sanitaire jusqu’ici a, la plupart du temps, failli à ses objectifs d’inclusion, de participation et de décision. Respecter les droits des usagers, leurs paroles et leur auto-détermination devrait constituer des piliers qui s’étayerait sur un espace institué dans la cité soutenant les approches concertées entre les usagers et les professionnels. Un tel lieu commun où se discute les usages et les pratiques permettaient de construire de nouveaux regards sur les soins psychiatriques, de nouvelles façons de faire, moins contraignantes et plus ouvertes sur les territoires. Ces nouvelles coopérations autour de services publics psychiatriques de proximité seraient les plus à même de s’émanciper des logiques de tri, de ségrégation, de rentabilité, de performance et de privatisation, poisons contemporains pour le rétablissement des personnes en souffrance.
Cette psychiatrie qui nous concerne toutes et tous – bébés, enfants, adolescents, adultes, personnes âgées- ne serait ni distante, ni infantilisante, ni coercitive.
C’est fort de ce constat que nous proposons de créer une autre approche politique et de santé publique faite d’articulations réelles entre les acteurs de santé et les tutelles, en commençant par l’échelon local.
Le temps est venu de bannir la logique des appels à projets, qui précarise les acteurs, au profit de financements pérennes et d’une gouvernance partagée. Repenser spécifiquement la psychiatrie sur une base communautaire implique de créer d’autres supports pour ce service public, qui ne se limiterait pas au seul hôpital public et à son hospitalo-centrisme trop souvent délétère. Les structures de première ligne – centres sociaux, associations, lieux d’écoute – doivent être soutenues et articulées avec les dispositifs de soin, afin d’offrir un accueil inconditionnel, une écoute et des réponses adaptées à chacun·e, y compris la nuit et le week-end comme par exemple des lieux de répits, des hospitalisations à domicile, des centres d’accueil et de crise ouverts en permanence, des groupes d’entraide mutuelle.
Nous proposons de repartir de ce que nous expérimentons localement, des solidarités qui existent et qui se tissent notamment dans certains quartiers populaires et lieux ruraux : accueillir, se rencontrer, prendre un temps suffisant pour se connaître sont des bases pour concrètes de refondations locales.Des instances existantes comme les conseils locaux de santé mentale pourraient servir de base pour cette refondation en devenant l’un de ces lieux où se discutent et où devraient se décider les politiques publiques locales de soins psychiques. Les renforcer dans leur autonomie, leurs moyens, leurs capacités d’expérimentation et d’interpellation des institutions pourrait faire vivre autrement la démocratie sanitaire.
La psychiatrie doit se refonder à l’articulation du respect des Droits, de la proximité et des besoins spécifiques de chaque territoire avec les personnes qui souffrent, qui habitent, qui travaillent dans leurs milieux de vie. La psychiatrie de demain sera démocratique, inclusive et territoriale, ou ne sera pas.
Collectif pour une psychiatrie populaire de proximité
La tribune parue dans le journal l’Humanité du 13 juin 2025
